Ça y est, la rentrée est passée, les cours ont repris. Même la Gazette est à nouveau sur le pied de guerre, prête à pondre un merveilleux numéro, une fois de plus. Et, cette année encore, on compte. On compte les choses légères, comme les six ans de la Gazette, on compte les choses personnelles, comme les bientôt seize ans de ma petite soeur qui entre au lycée (vertiiiiige), et on compte les choses sérieuses. L’attentat de Charlie, c’était il y a presque trois ans. Il s’en est passé des choses, en trois ans, il s’en est passé des attentats. Analyse de la réaction de mon moi-même.
Le 7 janvier 2015, une attaque terroriste s’abat sur le QG de Charlie Hebdo, que nous ne présentons plus. Terrifié à la vue d’une humanité autodestructrice, mon moi-même de l’époque est vite rattrapé par sa vocation journalistique et, bien qu’affolé, se met à son travail d’analyse et de production, comme chacun des membres de la Gazette. Nous donnons naissance, une semaine plus tard, à un journal hommage particulièrement abouti. De nombreux autres journaux ont fait de même, tout le monde s’est mobilisé pour lutter pour notre hulanité. Et pourtant, dans nos coeur, la panique continue son bout de chemin.
L’attentat qu’a subie Charlie Hebdo a profondément ébranlé la France et le monde, et un très long moment de commémoration a suivi ces quelques jours de panique. C’est fou, cette capacité qu’a eu chaque humain, sur Terre, à éprouver de l’empathie pour nos victimes. C’est beau, ça redonne espoir.
Quelques mois plus tard, rebelote. Tant de dates, tants de villes… Paris est touché, mais pas seulement. Berlin. Nice. Stockholm. Bruxelles. Copenhague. Barcelone. Londres. Mon Dieu, tous ces événements, ça fait mal à mon moi-même.
Et pourtant.
Hier, vendredi. J’assiste à un de mes premiers cours à la fac et reçois un appel de ma maman. C’est pour EDF, me dis-je sans décrocher. Plus tard, message. « T’inquiète pas, c’était pour avoir des nouvelles d’Audrey après l’attentat mais c’est bon, elle va bien. » Et là, mon esprit n’a pas réagi de la même façon que les dernières fois. Je me suis renseignée rapidement sur les faits, une bombe qui n’a pas explosé mais pris feu, attentat « raté », en quelque sorte. Ma soeur Audrey, à Londres actuellement, va bien. Vingt-deux blessés. Et… je passe à autre chose. J’ai des choses à faire, je suis étudiante maintenant, j’ai des choses à gérer. La compassion, ça sera pour plus tard.
Ce n’est pas ce que je me suis dit sur le coup, non, puisque ça s’est fait par réflexe. Mais maintenant, je réalise que, autant par « habituation » à ce genre d’événements que par auto protection, l’humain a changé de réaction. Et putain, qu’est-ce que ça fait flipper ! Est-ce que je suis devenue une pierre ? Pourquoi ça ne m’atteint pas plus que ça, alors que pour les précédents attentats c’était le branle-bas de combat dans mon coeur ? Qu’est-ce qui a changé, je ne comprends pas ! J’ai peur. Peur de moi-même.
Régulièrement, les autorités, les pays, les humains sont confrontés à des attentats, des tentatives. On apprend, petit à petit, à déjouer les terroristes, on y arrive de mieux en mieux. Et les attaques sont également de plus en plus fréquentes. Comment pourrait-on donner tant d’importance à chaque événement qui se passe autant qu’à Charlie Hebdo, qu’aux attentats du 13 novembre au Bataclan, qu’au choc des dizaines de victimes de la promenade de Nice ? C’est difficile, voire impossible, de passer tant de temps en émoi. Notre quotidien, mais également notre corps, ne suivraient pas. Alors, on se protège. On se confine dans une bulle de pierre qui isole un peu notre coeur de trop de sollicitation émotionnelle, comme chaque humain le fait dans sa vie personnelle. On trie.
Savoir si l’on réagit de la bonne façon, c’est difficile, comme on peut remettre en question chaque réaction que l’on produit. Après un constat tel que celui-ci, de nombreuses autres questions se posent. Est-ce que nos réactions, individuelles et communes, sont bénéfiques contre les attaques que l’on subit ? Est-ce que ça nous rend plus fort, est-ce que réagir moins aux attentats est une bonne façon de décrédibiliser les terroristes ? Est-ce que leur donner moins d’importance, c’est bien, est-ce que ce n’est pas manquer de respect aux blessés, aux morts de ces attaques ?
Ces questions restent parfois sans réponse universelle, bien que chacun puisse avoir son avis. L’important, maintenant, c’est d’arriver, malgré les coups durs, malgré notre bouclier émotionnel, à rester humain, à rester unis et bienveillants, et surtout, à continuer de partager et de transmettre ces valeurs qui nous rendront plus fort.
Maïlys
citation : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » Nietzsche