L’été d’une vie

Si le Prix du Goncourt des lycéens a été attribué en novembre à Alice Zeniter pour son roman L’art de perdre, c’est le roman de Monica Sabolo, Summer, qui est arrivé en tête des votes des lycéennes et des lycéens bretons. Un roman magnétique sur les traces de Summer, au bord du lac… Masha vous en parle.

Laissez-vous bercer, comme dans un songe, par une douce remise en question de notre conception de la vie, de l’Homme, des morts et des vivants. Dans un monde vaporeux de souvenirs blancs qui s’épanchent par les méandres de la pensée. 316 pages voilées, hors du temps où l’histoire se pétrit et se tord au fond des entrailles d’un homme.

Summer, l’été, le soleil qui brûle la peau. Summer et ses longues jambes, vertigineuses, ses cheveux d’or qui battent sur sa nuque et son rire cristallin. Summer, la sœur intrépide, lumineuse, qui aime profondément la vie et qui se jour d’elle, malicieuse. Summer qui a disparu au bord du lac Léman, elle et son joli sourire, son regard passionné et qui a tout emporté avec elle. Benjamin l’a perdue en même temps que tout ce à quoi il tenait. Il faut dire qu’il n’avait pas grand-chose. Benjamin n’est pas beau, n’a pas le charme de sa mère, ni le charisme de son père. Seulement ce corps ingrat, cette âme perturbée qui s’entortille sur elle-même. Et il pense, il pense trop. Il a dans la tête ce vide immense qui engourdit, cette tempête silencieuse qui fait rage dans le désordre ordonné de ses pensées. Dans ce beau roman de Monica Sabolo, Benjamin est adulte, gamin, adolescent, il court à la recherche de l’enfant qu’il a été, secoue vivement les souvenirs comme pour en retrouver le fil, une chronologie qui répondrait au chaos incessant.

Summer, c’est un roman frappant. Un long monologue qui martèle l’esprit et nous laisse un souvenir amer. C’est une écriture veloutée, spontanée, dans un rythme saturé de longues phrases où se mêlent une certaine poésie et un sens accru d la réalité. Monica Sabolo nous offre les pensées d’un homme sur un plateau : une tempête d’émotion, le théâtre intérieur, le questionnement d’un gamin qui a perdu sa sœur et qui ne peut la laisser s’échapper. Il assiste, toujours spectateur, au cheminement de son âme. Guidé par un détachement immoral, cadencé par ses multiples séances chez le psychothérapeute, le théâtre d’une vie qu’il ne semble pas avoir vécue lui-même. L’auteure nous en parle avec un recul sidérant vis-à-vis du personnage immergé dans ses pensées, étouffé par l’inattention. Alors, on devient Benjamin juste quelques heures. L’espace d’un instant, on apprend à devenir cette ombre, ce fantôme, ce tas de poussière face à l’adversité. Ce roman est un plongeon dans les abysses du lac lui-même. Ce lac qui devient omniprésent, contamine jusqu’aux pulsations de notre cœur, la déferlante des eaux troubles qui bouscule chavire. Notre esprit est submergé par l’irrésistible folie aquatique de cet être tourmenté et des mots destructeurs de Monica Sabolo qui nous coupent le souffle.

« Qui sont vraiment les gens ? ». C’est par cette belle phrase pleine de sens que je souhaite achever cette confidence. Les pensées, les mots de Benjamin Wassner. Et c’est vrai, dans ce monde, cette onde interminable qui n’en finit pas, ces visages souriants, hypocrites et ces secrets polis année par année, on ne sait pas qui sont ceux qui nous entourent. Mais heureusement, parce que si nous connaissions les hommes, jusque dans leurs plus intimes pensées, ils perdraient de leur éclat, soustraits au charme du mystère et pour finir, deviendraient laids, couverts de l’immondice de la pensée, du poison qui hante nos esprits. Et pourtant, Benjamin Wassner, au fil des pages, alors que se succédaient les lettres, les mots, le fil d’une vie qui s’échappait comme un râle, un peu plus à chaque page, j’ai eu terriblement envie de te connaître.

Masha Pannecière

 

Ce texte a obtenu le 2ème prix du Concours de Critiques du Goncourt des lycéens 2017

(photo en Une : extrait de la 1ère de couverture de Summer, Editions JC Lattès)