D’ici quelques années, c’est dans un monde similaire à « Nosedive », le premier épisode de la troisième saison de Black Mirror, que vivront les Chinois. Cette anthologie montre plus ou moins la dépendance des hommes vis-à-vis des nouvelles technologies et les conséquences de cette dépendance. Ici, on nous présente un monde rongé par le besoin de se noter, de s’évaluer à chaque fois que l’on se croise, des notes permettant une ascension dans la société. Il n’est plus question de personnalité et de sentiments, tout est dicté par une simple note. « Nosedive » nous plonge au cœur de ce problème avec une réflexion qui prend surtout son sens dans la seconde partie de l’épisode… Les Chinois ont le projet de faire de cette fiction une réalité. Etes-vous prêts à être « scorés » ?
Annoncé en 2014, le « système de crédit social » ou « scoring » est un projet du gouvernement chinois qui devrait être mis en place en 2020. Il consiste à attribuer aux citoyens, aux fonctionnaires et aux entreprises, une note représentant la confiance dont ils sont dignes. L’idée est de collecter des centaines de données sur les individus et les entreprises, depuis leur capacité à tenir leurs engagements commerciaux jusqu’à leur comportement sur les réseaux sociaux, en passant par le respect du code de la route. « Si la confiance est rompue dans un domaine, des restrictions sont imposées partout ». On sait très peu des moyens concrets, le document préparatoire de 2014 montre la volonté du gouvernement à résoudre trois problèmes majeurs : la sincérité dans les affaires gouvernementales, la sincérité dans le commerce et la sincérité sociale. Ainsi, tous les scandales qui ont secoué la Chine ces dernières années (sécurité alimentaire, santé, arnaques dans l’e-commerce, conflits liés au travail et l’immense problème de la corruption) devraient ne plus jamais se reproduire. Entre 350 et 950, la note attribuée variera donc en fonction de tout un tas de critères basés sur les informations que l’on pourra récupérer sur les individus, sur leurs activités dans la vie réelle comme sur internet. Votre jolie note de citoyen augmentera alors si vous payez vos impôts à temps et si vous vous occupez bien de vos parents. En revanche, faites attention aux points négatifs résultants de cette preuve d’immaturité qu’est l’achat régulier de jeux vidéos.
Mais la mise en place d’un tel système pose d’immenses problèmes. Au-delà du problème étique de contrôle des citoyens, d’un point de vue pratique, ce système implique une infinité de nuances : les sources de données sont multiples, et collectées dans des formats différents, avec des risques d’erreur et de manipulation. Il faut ensuite déterminer la « valeur » de chaque acte, sachant que chaque individu est différent. Tout cela conduit de toutes évidences à une concurrence, une hypocrisie et une injustice de plus en plus élevées. Si ce système est introduit en France chacun de nos mots, de nos actes, de nos clics seront contrôlés et enregistrés…
Adieu libertés individuelles !
Perdue dans nos recherches sur ce sujet qui nous tient à cœur, j’ai eu la chance, ou la malchance (à vous de voir), de découvrir sur Europe 1 un interview de 2015 de notre ancien ministre de l’Economie. Le jeune homme vantait les mérites de la loi Noe, fort heureusement refusée un an plus tard, proposant que les banques accordent plus facilement des prêts à des personnes ayant une note de confiance élevée. Non, nous ne rêvons pas : l’homme qui dirige notre petit pays, Emmanuel Macron, encourageait en 2015 l’utilisation du scoring qui nous mènerais tout droit à la dystopie.
Tout. Va. Bien.
Oh je vous vois tous, derrière ce journal, étonnés et déjà révoltés. Mais, cher lecteur, combien de likes, d’étoiles, de pouces bleus, as-tu attribué cette semaine ? Dans cette société où l’image que l’on donne aux autres compte plus que tout, combien de temps faudra-t-il avant que l’on adopte complètement le scoring et que ces pauvres 17 likes de ta dernière photo t’empêchent de prendre un billet d’avion en 1ère classe ? Quand sommes-nous devenus les principaux acteurs de ce film catastrophique qu’est le 21ème siècle ? Et surtout, quand aurons-nous le courage d’apprendre à jouer notre rôle pour sauver la suite ?
Koupa (avec l’aide de sa coéquipière de brainstorming Lilah)