Mick Harvey chante Gainsbourg : interview

Pour l’une de ses dernières soirées, le Manège de Lorient nous a fait l’honneur d’accueillir Mick Harvey qui ne s’est pas empressé de lui rendre la pareille. En effet, l’infatigable australien (ayant joué avec Nick Cave, PJ Harvey entre autre et collaboré pour des bandes originales de films) a fait succomber la salle avec ses reprises de l’iconique Serge Gainsbourg. Reprenant des titres phares tel que « Bonnie and Clyde » ou « Initials BB », Mick Harvey a également prouvé qu’il pouvait aller plus loin dans le répertoire en reprenant des titres tels que « I Envisage » ou  « Contact » (chanté initialement par Brigitte Bardot) jouissant d’une dimension énorme sur scène.

Accompagné de musiciens plus talentueux les uns des autres, la performance a été tout simplement géniale et menée sous le joug de la bonne humeur et du respect. Un respect de tous pour ces chansons incroyables et pour cet hommage qu’a accompli Mick Harvey. Un concert superbe grâce à ces multiples talents sur scène qui ont réussi à nous faire revivre ces chansons majestueuses. Pour couronner le tout, nous avons eu la chance de rencontrer Mick Harvey et de pouvoir en savoir un peu plus sur lui, sur son rapport à la musique et son travail. Une très belle soirée qui sera dure à oublier !

 

Tout d’abord, pourquoi avoir repris Gainsbourg ? Qu’est-ce qu’il représentait pour vous ?

C’est une longue histoire parce que les choses ont évolués depuis. Tout d’abord, peu de personnes en dehors de la France connaissait sa musique. Peut-être un peu aux Pays-Bas ou en Allemagne mais c’est tout. C’était surtout une opportunité. Quelques chanteurs français ont été découverts, Jacques Brel est assimilé à la musique française par exemple. Les personnes connaissent son travail mais il y a aussi de nombreux artistes français très intéressants qui mériteraient d’être plus connu également. C’était une opportunité pour moi de travailler sur ce type de matériel. J’aime beaucoup les chansons de Gainsbourg. Vu que de nombreuses personnes n’écoutaient pas son travail, je n’avais plus qu’à traduire ses chansons (rires).

Qu’est ce que cela vous a apporté ?

C’était un vrai plaisir. Être musicien, c’est regarder toutes sortes de challenges à réaliser en musique. Rester dans son groupe tout le temps, c’est une chose mais c’est aussi intéressant de faire d’autres projets musicaux à côté. Pour moi, celui sur Gainsbourg est probablement une petite partie de ce que j’ai fais dans ma carrière, ce n’est pas le projet majeur. En revanche, c’est le seul qui se sépare de tous mes autres projets. Tout ce que je fais normalement est beaucoup plus connecté avec ma créativité et les personnes avec qui je collabore, celui-là est le plus éloigné. Il est intéressant et j’aime vraiment ces chansons même si cela reste différent de ce que je fais habituellement.

Connaissiez-vous l’histoire de Serge Gainsbourg avant de faire ces albums ? Saviez-vous ce que pensaient certaines personnes à propos de lui, en France particulièrement ? Parce que beaucoup de monde n’acceptait pas sa musique et le trouvait trop provoquant et trop choquant, surtout lorsqu’il était « Gainsbarre ».

Il essayait d’être provocant. Cette idée de la provocation est apparue du punk et de la new-wave où tout le monde essayait de l’être. Gainsbourg est juste une de ces personnes qui essayait d’être provocante. Et alors ? Si des personnes s’indignent pour cette face de lui, cela ne le fera que grandir. Ceux qui s’indignent sont ceux qui vont perdre. C’est comme le terrorisme. Quand on est terrorisé par cela, ils ont gagnés.

C’est vrai qu’il avait fait énormément d’actions folles comme brûler un billet à la télévision, ses insultes, ses pertes de contrôle ou encore quand il disait que la musique était un art inférieur…

Ce n’est pas ce qui m’intéresse particulièrement, je préfère me concentrer sur sa musique. Sa musique n’est d’ailleurs pas provocante. Il prend les choses très au sérieux et a écrit de nombreuses chansons géniales. Les personnes s’attardent souvent sur ce que font ou disent les artistes mais peu importe. Si la musique est mauvaise alors ce ne sera pas intéressant. Il faut seulement s’attarder sur la musique, les paroles ou ce qui est fait artistiquement autour. Il a inventé « Gainsbarre » parce qu’il était devenue vraiment frustré. Il faisait des choses qu’il trouvait géniales, des albums cultes, et il ne connaissait pas le succès. Il a inventé ce personnage pour attirer l’attention. Tout ça parce qu’il en avait marre de lutter contre cette incompréhension. Il pensait que « Melody Nelson » était un chef d’œuvre mais il n’y eu rien à sa sortie. Tout le monde le considère comme un génie maintenant et c’est assez marrant. Il a de nombreuses pièces incroyables de travail, extraordinaires musicalement. Gainsbourg était un échec, maintenant c’est un classique de la musique, et sur plusieurs niveaux. Il était vraiment déprimé quand cet album en particulier est sorti et que personne ne s’en intéressait. Il travaillait énormément pour avoir un rendu qu’il trouvait de qualité sans aucun retour derrière. Il était complètement désabusé, il voulait seulement avoir au moins un peu de succès. Il a donc inventé ce stupide « Gainsbarre » pour attirer l’attention mais cela n’a rien à voir avec la musique. Beaucoup de chanteurs ont besoin d’attention, ça je le sais (rires). On veut de l’attention tout le temps, tous les jours.

 

Il y avait de nombreuses significations cachés dans ses chansons comme « Les Sucettes » ou « Love on the beat » également. Il faisait énormément de jeux de mots en mélangeant de l’anglais et du français dans le but de créer une certaine poésie très personnelle. Comment avez-vous fait pour traduire cela ? Comment avez-vous fait vos choix ?

Je m’étais d’abord dirigé vers des chansons que j’aimais musicalement où il s’en dégageait une certaine puissance. Dans d’autres titres, il y avait des chansons avec de très belles paroles mais dont la musique n’était pas vraiment bonne. Je n’étais jamais réellement attiré par elles parce qu’il n’y avait pas cette attraction musicale à la première écoute. Je n’ai pas fait forcément fait attention à elles, même si les paroles étaient très bonnes, je ne pouvais parfois pas étudier toutes ces possibilités de reprises. Je me suis surtout dirigé là où je trouvais la musique puissante.

Au fait, avez-vous eu besoin d’un traducteur pour vous aider ?

J’ai utilisé différentes personnes pour m’aider à avoir le début d’une traduction, pour m’expliquer la place des mots et toutes ces blagues compliqués qu’il a réalisé. Je voyais comment cela se formait. Très souvent, il n’y avait qu’une petite traduction et je travaillais juste dessus pour la mettre dans une certaine forme de chanson en anglais. Certaines d’entre elles étaient presque déjà finies ! Je n’avais juste qu’à écrire deux rimes et c’était bon. Parfois, le travail était vraiment simple ou terriblement difficile. Cela prenait un temps fou pour essayer de nouvelles choses, pour essayer de faire rimer des vers… Sauf que c’était important donc il fallait le faire sérieusement.                                    

Gainsbourg aimait la musique classique avec Chopin, il aimait la poésie avec Rimbaud et il était également fou amoureux de peinture. Il était ouvert à l’art comme vous. Parce qu’après avoir commencé avec Nick Cave dès votre plus jeune âge et avoir joué avec PJ Harvey, vous avez aussi développé d’autres projets tel que celui-ci autour de Gainsbourg ou encore « The Ministry of Wolves ». Vous avez également participé à « In dreams : David Lynch revisited » et je n’en cite qu’une petite partie…

Je veux essayer de nouvelles choses, travailler avec des artistes que je trouve intéressants sur des projets qui le sont tout autant.

Vous semblez être un artiste libre qui est capable de faire ce qu’il veut quand il veut. Est-ce vrai ?

Souvent. C’est généralement très dur de vivre de l’art ou de la musique, et beaucoup d’artistes doivent avoir un métier en plus. C’est très dur de pouvoir gagner assez d’argent avec n’importe quelles formes artistiques existantes. Je suis très chanceux. Je n’ai pas besoin d’avoir de métier supplémentaire par exemple. J’ai travaillé avec énormément de musiciens, ceux nommés bien évidemment, mais j’ai aussi travaillé avec des personnes de Fifty records. Si j’aime ce que compose quelqu’un, je vais tous faire pour pouvoir travailler avec lui. Énormément de personnes avec qui j’ai collaboré ne peuvent vivre seulement que de la musique, c’est vraiment très compliqué. C’est pareil pour un réalisateur qui ne peut vivre de son art. Je connais des musiciens, des acteurs ou des réalisateurs très célèbres mais je connais également des personnes qui essayent depuis quarante ans pour qui cela n’a pas fonctionné. Beaucoup d’entre eux sont bien plus intéressants que certains, cependant, c’est une question de chance également. Il faut être chanceux, avoir un peu de matériel et surtout du temps. Quand vous voulez être connus, il faut vraiment être patient. Il y a tellement de gens brillants qui ne peuvent faire ce qu’ils souhaitent.

Qu’est ce que vous pensez de l’ensemble de votre carrière actuellement ? Êtes-vous fier de ce que vous avez accompli ? Vous avez joué pour énormément d’artistes, avec énormément d’artistes également, et vous avez été très important pour eux et pour leur musique.

C’est plutôt effrayant de voir combien de projets j’ai réalisé. Peut-être que j’ai fais quelque chose d’utile étant donné que je suis juste capable de faire cela. Encore une fois, je suis très chanceux parce que je peux jouer de la musique tout le temps. Je deviens plus vieux mais c’est toujours une chose vraiment incroyable à faire et je le sais. Même si j’ai travaillé dur pour avoir cela ! Faire de la musique est complètement différent des autres métiers. C’est comme travailler énormément pour quelque chose qui n’est pas un métier « normal ». C’est simplement un plaisir et, pour moi, tous les éléments sont réunis pour faire cela. C’est ce que je voudrais faire tout le temps.

Comment voyez-vous votre futur alors ?

Je ne sais pas. Il faut toujours travailler dur, le travail et les résultats viendront. Si je devais continuer ce que je fais, je continuerais. Cela fait déjà trente ans que je joue de la musique et j’aime ça. Je devrais commencer quelque chose de nouveau maintenant ? (rires) Ce qui est bien avec la musique, c’est que je peux continuer de faire cela à 50 % du temps tout en commençant quelque chose d’autre à côté. Faire n’importe quelle forme d’art, c’est avant tout une poursuite. On ne sait pas ce qui va arriver après, on ne peut pas vraiment avoir de plan. On peut simplement essayer de trouver ce que l’on aimerait faire. C’est toujours dur de savoir de quoi le futur se composera. Si l’on travaille dans une banque, c’est une sorte de métier qui permet d’avoir une carrière toute tracée où il faut gravir les étapes une par une. Ainsi on peut regarder un certain futur qui ressemblerait à : avoir une famille, une maison, que cela doit être comme ci et comme ça, etc. Je ne sais vraiment pas ce qu’il peut arriver dans 6 mois pour moi. Je pourrais être en tournée, en train d’enregistrer de nouveaux projets, travailler sur un film par exemple… Choisir d’être dans une poursuite artistique, c’est ne pas vouloir savoir. Parce que si tout était organisé, j’irais travailler dans une banque ! (rires) Je pense que l’on a besoin de ne pas être sûr, cela nous aide à avoir de nouvelles idées. Si on a les idées au clair, on ne fera pas ce métier très longtemps. Si l’on veut continuer de créer de nouvelles idées artistiques, la sécurité n’est pas une bonne chose.

 

Juste pour le plaisir parce que vous semblez aimer le travail de David Lynch, que pensez-vous de « Twin Peaks : the Return » ?

C’était difficile parce que c’est bien plus complexe et lent, le style est tellement différent. Cela m’a pris 5 épisodes pour être sûr de ce que je voyais, être sûr que chaque épisode soit vraiment bien lié entre eux. Pendant les 5 premiers épisodes, cela ne signifiait vraiment rien pour moi. Toutefois, j’ai vraiment aimé cette saison et la fin est incroyable. Il n’y a aucun moyen d’expliquer cela. C’est fantastique, vraiment brillant, et cela prend encore plus de sens quand on la regarde une nouvelle fois. C’est très intéressant de regarder toutes ces saisons à la suite une nouvelle fois.

 

Interview signée Léo (Photos de Manon)