Le couvre-chef à découvert

7h50, fatigue et yeux flous. Petit bâillement, nuage de vapeur, froid matinal. Quelques frissons, le manteau qui se ferme, l’écharpe qui se serre. Marche lente et douloureuse vers salle encore obscure. Croise Paul dans les escaliers (il est sympa Paul), lui dis bonjour. Entrons ensemble dans le couloir intestinal où s’engouffrent des courants d’air glacial. Dents tremblent, claquent. A peine dans le couloir, après quelques pas vacillants, et une hésitation à aller prendre un café bien chaud, soudain une voix terrible gronde et s’amplifie dans les oreilles, serpente sur les parois et lacère les tympans.
« ONNN O EEEEEEE » se fait entendre dans un mélange de graves et d’aigus particulièrement sonore. Indéchiffrable, les yeux s’emballent et cherchent…. Un monstre dans les couloirs ?
« ONN ONEEEE » assomme la voix caverneuse. Derrière, une silhouette se forme sous le regard béat. Un bras, puis une jambe, puis un autre bras, une deuxième jambe, tête, cheveux et mains tenant un cahier. L’oeil s’affine, distingue les traits du visage d’un membre de la vie scolaire. Dans un dernier souffle gargantuesque, les mots résonnent avec précision dans l’esprit maintenant alerte.
« TOOOOOON BONNEEEEEET »
Surpris, la main atteint la tête et ôte le couvre-chef du crâne. Le corps, s’étant presque réchauffé, reprend alors un grelottement frénétique.

Trouvez-vous cela normal de se faire agresser (oui, agresser, et les mots sont pesés) dans un couloir dès le matin quand on a froid et qu’on est épuisé pour la seule raison stupide d’enlever son bonnet ? Est-il nécessaire de rappeler la région dans laquelle nous habitons et les températures qu’il peut faire les MATINS D’HIVER ? Il est absolument aberrant d’interdire l’usage d’un vêtement sur le seul principe de laïcité lorsque ce vêtement ne porte aucune signification religieuse et justifie sa présence par le droit élémentaire de lutter contre le froid et donc la maladie. Quel argument pourrait expliquer une telle mesure ? Si le bonnet est interdit par la polémique du voile, il devrait être totalement proscrit de porter un collier puisqu’il existe des crucifix. C’est exactement le même raisonnement. Certains diront « c’est le respect ». Permettez-moi de répondre que seule le plus stupide et mégalomane des individus pourrait voir dans le port du bonnet un manque de respect. Qu’est-ce qui dans l’objet « bonnet » pourrait bien constituer une offense ? C’est au contraire un habit de protection, rien d’autre. Et pourtant, il est indiqué dans le règlement qu’il est interdit d’en porter.

Maintenant revenons-en au véritable coeur du fléau, que l’équipe de la vie scolaire ignore, je pense, vu le caractère absolument scandaleux du propos. Si le bonnet est interdit, ce n’est pas par laïcité ni par respect qui, comme on l’a vu, sont des excuses aussi ridicules qu’arbitraires. Non, si le bonnet est interdit, en faisant quelques recherches, on découvre que c’est en fait un processus né il y a très longtemps…

En effet, au Moyen-Age, les soldats, lorsqu’ils entraient dans un lieu où se trouvait un supérieur, fut-il intérieur ou extérieur, devaient enlever leur heaume par signe de soumission à l’autorité (l’heaume protégeant la tête et le cou, le supérieur pouvait donc à n’importe quel moment décapiter un soldat un peu trop irritant).

Oui, c’est cette tradition qui a aujourd’hui fait naître cette règle sans aucun sens, tout comme la poignée de main est héritée d’un geste qui montre à l’interlocuteur que l’on n’est pas armé. A la différence qu’ici, une poignée de main est un geste sympathique, qui rapproche. Qu’en est-il du bonnet ?

Je me permets ici de dénoncer et de dire qu’il est véritablement choquant voire à la limite du savoir-vivre et de la morale de perpétuer une mesure moyenâgeuse destinée à promouvoir le rapport de force et de puissance dans la menace physique au sein d’un établissement scolaire public où les élèves viennent s’instruire. Je demande donc, pour les prochains élèves qui fréquenteront l’établissement, une révision de cette mesure irrationnelle, sans quoi Jean Macé sera un lycée ouvertement conservateur et orienté dans une éducation stricte et forcée qui n’est plus pratiquée depuis des années.

Cette explication me permet d’ailleurs de briser un rêve réactionnaire qui est celui de la tradition. Il est temps d’arrêter l’hypocrisie et de cesser de justifier n’importe quoi par l’argument de la tradition. Une tradition est un fait, et non un appui sur lequel on peut débattre. Alors tous les « Oui, mais ça a toujours été comme ça » pour justifier qu’il ne faut pas changer, c’est direction rectum. Pendant des décennies, on a vidé les malades de leur sang pour qu’ils guérissent. Est-ce que c’est une raison pour continuer aujourd’hui ? Evidemment non et seuls les abrutis diront le contraire. Maintenant adaptez ce schéma à d’autres phénomènes, c’est toujours pareil.

La corrida n’est pas « valide » parce qu’elle a toujours été, et plutôt se prendre la corne du taureau dans le cul que d’applaudir la bêtise humaine.

Ethan

(image libre de droit sur flickr.com)