»Je m’identifie comme un hélicoptère de combat » et autres conneries

La transphobie tue (ouais cet article commence bien). C’est un peu le même message que sur les paquets de cigarettes sauf qu’il faudrait l’afficher sur certaines personnes pour éviter une écoute excessive de leur idées moisies. Quelle meilleure occasion que ce mois de Juin, mois des fiertés, pour défoncer (verbalement) les transphobes ! Mais là, comme j’écris cet article, j’ai un doute. Finalement, c’est assez stupide de répondre à la violence par la violence (même verbale, et pourtant, que le nombre d’attitudes qui entraînent des jets de vomi est conséquent !).

Ouais non, définitivement, je pense que ça sera mieux de communiquer des faits, d’expliquer la transphobie, de donner les clés pour l’éviter et comprendre la transidentité. Plus soft.

Attention, l’article qui va suivre contient BEAUCOUP de vocabulaire encore assez inconnu (invisibilisation tmtc) et peut potentiellement engendrer une remise en question (ça serait même pas mal). Pas d’inquiétude, aucun des deux n’est létal, buvez un verre d’eau et tout ira bien.

Qu’est-ce que la transphobie ?

Très simplement, la transphobie désigne toutes marques de rejet et de violence à l’encontre des personnes trans. La transphobie peut apparaître sous la forme de rejet familial, harcèlement scolaire, transphobie administrative et/ou médicale, mégenrage, outing ou deadnaming (alors oui, ça commence déjà les mots nébuleux mais comme je l’ai dit, t’inquiète, je t’explique après), sans parler de la transphobie intériorisée.

Des faits concrets ?

En 2015, dans leur ouvrage Sociologie de la transphobie, les sociologues Arnaud Alessandrin et Karine Espineira estimaient que pas moins de 85 % des personnes trans seront agressées au cours de leur vie, et pour beaucoup ce sont des insultes, remarques, moqueries voire agressions quasi-quotidiennes. Selon le Ministère de la Justice, en 2016 (dernières données complètes disponibles), 86 condamnations ont été prononcées pour des infractions commises en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, contre 54 l’année précédente. Depuis janvier 2008, l’ONG Transgender Europe, qui recense les homicides de personnes trans à partir des données recueillies par les associations trans dans 71 pays, compte même 2609 victimes, en grande majorité des femmes racisées, immigrées et travailleuses du sexe (je vous parlerai d’intersectionnalité un jour).

Donc la transphobie c’est loin d’être inoffensif. Ou de ne pas exister comme certains se l’imaginent (on y reviendra). S’y ajoute le fait qu’il peut être difficile d’en parler, de porter plainte pour les victimes, par peur. Peur d’être outé.e (sorti.e du placard contre son gré), peur de l’irrespect, de questions intrusives, peur de la culpabilisation, peur de la négation de leur identité.

Comment donc être respectueux envers les personnes trans et éviter d’être un.e gros.se connard.sse de transphobe, me direz-vous ?

Premièrement, parlons vocabulaire.

D’abord, qu’est-ce que le genre (vous avez deux heures) ?

Faisons simple et disons que le genre est une catégorisation sociale de l’identité. Ça n’a rien à voir avec le sexe, qui est biologique (ce qui ne veut pas dire que c’est binaire ou clairement compris). Dans la société actuelle, cette catégorisation est essentiellement hiérarchisée entre masculin et féminin. Cependant, il existe d’autres identités de genre, qu’on peut regrouper sous les termes non-binaire/genderqueer/gender non-conforming, et qui désignent des identités ne rentrant pas dans cette catégorisation (qui peuvent donc être fluide, agenre, bigenre, neutre, d’un genre différent…etc).

Une personne transgenre, binaire ou pas, est une personne dont le genre ne correspond pas à celui qui lui a été assigné à la naissance (par opposition à une personne cisgenre, dont l’identité de genre correspond à son genre assigné). Point. Notez que « transgenre» ou « trans » sont des adjectifs, on dit « une personne trans » et pas « un.e trans ».

De plus, il est assez maladroit et surtout irrespectueux de désigner une personne transgenre dans son genre assigné, cela s’appelle le mégenrage (la première personne qui dit  »un homme qui se sent femme » ou  »une femme qui se sent homme » je lui vomis dessus et je – ah non c’est vrai on a dit pas de violence). Ça se traduit par le fait de se tromper volontairement, ou involontairement, de genre lorsqu’on s’adresse à une personne, dans l’emploi des pronoms, de l’accord des adjectifs. C’est aussi estimer l’identité de genre d’une personne selon son apparence et se tromper (notez que ça peut aussi arriver à une personne cis, mais ça n’a pas le même effet), ou encore en s’adressant à une personne trans avec son deadname (ou morinom, si tu veux françiser), l’ancien prénom ou prénom abandonné d’une personne, qui ne s’utilise plus. Tant qu’a faire, évitez les questions intrusives du genre  »Mais du coup t’as un pénis ? T’as fait une opération ? ». Je dois avouer que cette obsession pour les parties génitales m’interroge. Non seulement c’est étrange (vous ne poseriez pas cette question à une personne cis), mais en plus c’est très impoli et qu’est-ce que ça peut vous foutre honnêtement ? Ça peut vous importer si vous êtes proche de la personne (et encore) mais sinon… Non, juste non.

Tout cela n’est pas bienvenu car, en plus d’être malpoli, cela peut provoquer de la dysphorie (précisons  »de genre » car il en existe d’autres qui ne concernent pas ce sujet), la détresse physique et mentale de certaines personnes trans face à un sentiment d’inadéquation entre son assignation et son identité de genre.

Ensuite, veillez à ne pas confondre orientation sexuelle (vraiment, ça n’a strictement rien à voir), identité de genre et expression de genre : l’un est l’expression et la revendication de l’appartenance à un genre, et l’autre la manière dont on exprime son genre par son apparence, gestuelle ou autre forme d’expression. Cela se base sur l’autodéfinition et se doit d’être respecté.

Il faut bien faire la différence entre la transphobie disons « assumée », c’est à dire une haine ou un rejet clair envers les personnes trans, et la transphobie banalisée, et par conséquent ne pas monter sur ses grands chevaux et protester à grands cris que mais-non-j’ai-rien-contre-les-personnes-trans-moi dès que quelqu’un vous fait remarquer qu’un de vos propos peut être transphobe.

La plupart du temps les gens n’ont sincèrement rien contre les personnes trans, mais ne sont juste pas au fait, et l’ignorance entraîne des maladresses, et c’est normal. La transphobie banalisée, ça se cache sous forme d »’humour », ou simplement de mots.

Pour prendre un exemple courant : le mot « transsexuel ». Il faut savoir que la transidentité a longtemps été considérée comme une pathologie, et le mot « transsexuel » utilisé pour médicaliser les personnes trans. C’est un mot qui a un passé, qui n’est pas à prendre à la légère étant donné qu’il peut heurter certaines personnes.

Là encore, vous n’irez pas en prison si vous l’utilisez (certaines personnes trans l’utilisent même) mais il est préférable d’utiliser le terme « transgenre ».

Mais maintenant qu’on connaît le quoi et le comment, qu’en est-il du pourquoi ?

Essayons de comprendre, brièvement car c’est un sujet BIEN VASTE, et qui mérite d’être beaucoup plus développé que ce que je peux faire ici avant de vous saouler et que vous tourniez la page pour lire un article un peu plus marrant, comment fonctionne la transphobie.

Je vais m’appuyer (largement) sur la vidéo Transphobia : An Analysis de Philosophy Tube car elle est merveilleusement claire et bien faite, en plus de renvoyer à de nombreuses ressources pour approfondir le sujet (hop hop hop c’était la référence discrète, maintenant vous savez où allez si vous voulez des précisions).

Imagine ton oncle Roger. Roger est toujours politiquement correct, il essaye d’être accommodant avec tout le monde. Il est relativement privilégié. Il y a une vingtaine d’années, ton oncle Roger, s’il est hétéro, aurait dit quelque chose de  »légèrement » homophobe, du type:

 »Ah mais j’ai pas de problème avec les homos, du moment qu’ils font ça loin de moi ça ne me dérange pas. »

Depuis, ton oncle Roger a compris que ce genre de chose ne se disait pas et a changé pour le mieux.

Maintenant, ton oncle Roger dirait quelque chose du genre :

 »Si les gens veulent utiliser tel pronom, porter les vêtements qu’ils veulent ou changer leur nom ça ne me dérange pas, les gens devraient pouvoir faire ce qu’ils veulent. »Et on voit bien que, comme dans le cas précédent, si ton oncle Roger n’est agressif en aucune façon, ça reste un propos transphobe. Pourquoi ?

Selon Talia Bettcher, autrice et philosophe, le cœur de l’homophobie, la biphobie, et par conséquent la transphobie, car ça marche de la même manière, comme n’importe quelle oppression d’une minorité, est l’hétéronormativité et donc ici la cisnormativité, à savoir que le préjugé culturel ou social, implicite, selon lequel tout le monde est cisgenre, et qui privilégie par conséquent les identités cisgenres et néglige, ou sous-représente, les divergences de genre, est omniprésent. Par conséquent, ici, même si ton oncle Roger a évolué, cette idée est toujours ancrée en lui.

Toujours selon Bettcher, cela s’explique par le scepticisme métaphysique (non, non, ne tournez pas la page, je promets que c’est pas chiant!). Une personne transphobe entretient la fausse croyance que les personnes trans n’existent pas vraiment en tant que personnes trans, mais sont vraiment le genre qu’iels ont été assigné.e.s à la naissance, car elle se base sur ce mode de pensée (que cela soit conscient ou inconscient). La métaphysique en philosophie, c’est réfléchir à ce qui existe. Un sceptique aujourd’hui, est quelqu’un qui doute de tout ce qui n’est pas prouvé d’une manière évidente, incontestable, mais en Grèce Antique, un courant de pensée, le pyrrhonisme, prône un scepticisme différent : son but n’est pas de définir qui a raison et qui a tort, mais de suspendre le jugement indéfiniment, comme un enfant qui répète à l’infini  »Comment tu sais ça ? Et comment tu sais ça…etc ».

Cela justifie, aux yeux des transphobes, la négation de l’existence des personnes trans, et qu’en conséquence de quoi, la transphobie n’existe pas non plus (d’ailleurs d’après mon correcteur orthographique le mot  »transphobe » n’existe pas, si c’est pas cocasse). Ainsi, les personnes trans se retrouvent à devoir justifier leur existence face à ces constants  »Comment tu le sais ? » et dans le cas d’un échec s’exposent à des violences, qui vont jusqu’à la mort.

Le scepticisme métaphysique est également la cause de l’existence des TERFs, Trans Exclusionary Radical Feminists (j’ai vomi dans ma bouche), qui soutiennent que l’existence de personnes trans effacerait les identités lesbiennes et gays, car un homme pourrait posséder un vagin et une femme posséder un pénis, refusant le FAIT que certains hommes possèdent des vagins et certaines femmes possèdent des pénis, car en l’occurrence elles se concentrent sur la question  »Mais comment sait-on qui est une lesbienne ? » (chacun ses problèmes écoutez). De même, un argument transphobe communément utilisé,  »C’est pas parce qu’on dit qu’on est quelque chose qu’on l’est vraiment » (dont sont issus les hilarants memes à propos d’hélicoptères de combat), se repose sur la même réflexion pour attaquer le performativisme, le concept selon lequel certaines déclarations constituent à la fois des paroles et des actes (par exemple, dire  »Je le veux » à un mariage). D’après la philosophe Judith Butler, le genre pourrait fonctionner de la même façon (je vous laisse faire des recherches sur son travail si vous êtes intéressés, cet article est déjà beaucoup trop long). Cependant, ce que les transphobes ne prennent pas en compte est que toutes les personnes trans ne sont pas d’accord avec cette théorie.

Mais le fait est que les personnes trans n’ont pas besoin d’être d’accord là-dessus pour pouvoir être considérées, avoir accès à une protection légale contre la transphobie, avoir accès aux soins dont elles ont besoin… C’est ce que les transphobes font : en remettant en question leur existence, iels remettent en question leur accès à des droits humains basiques, à la dignité et au respect.

Car c’est ça le fond du problème, peut-être avant le scepticisme métaphysique ou respecter les pronoms. Le Respect.

Si toute cette explication donne peut-être une vision un peu intellectuelle des transphobes, leurs paroles et actes sont loin d’être si délicats et académiques et certainement pas justifiés (si tu vois pas de quoi je parle, reprends l’article au début).

J’ai bien conscience que cela peut constituer une grosse remise en question, mais à mon sens c’est important, parce ça n’est pas une question de  »bien-pensance » (vous pensez bien ce que vous voulez), mais simplement de respect. C’est simple, basique, comme dirait l’autre, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire alors instruisez-vous (parce que cet article déjà bien long ne fait que survoler certains aspects de la question), écoutez les personnes concernées et youpla-boum respectez le personnes trans comme vous respectez n’importe quelle autre personne.

Oh, et promenez-vous toujours avec un sac à vomi, ça sert.

Supercalifragili (texte et dessin)