Lors de la dernière Marche mondiale pour le climat de Paris, des violences ont éclaté : affrontements entre des black blocs (des rassemblements éphémères, informels et décentralisés d’individus masqués et vêtus de noir lors d’une manifestation) et les forces de l’ordre présentes (en masse) sur place, gaz lacrymo, motos qui brûlent en tête du cortège… Il semble que même lors d’une marche ouvertement pacifique, des violences émergent invariablement, qu’elle viennent d’un petit groupe ou d’un ensemble plus global. On peut entendre l’argument de la violence comme seul moyen de susciter une réaction, de faire vraiment bouger les choses, mais qu’en est-il des protestations non-violentes ?
Selon notre bon ami Larousse, la violence désigne une « extrême véhémence, une grande agressivité, une grande brutalité dans les propos, le comportement et par conséquent l’ensemble des actes caractérisés par des abus de la force physique, des utilisations d’armes, des relations d’une extrême agressivité. »
De l’avis de certains, dans un cadre militant, le recours à la violence est justifié par la violence qu’on subit. Mais on peut dans ce cas y opposer le fait que la contre-violence est l’expression même du problème contre lequel on proteste : la société dans laquelle on vit est tellement imbibée de violence qu’on n’imagine même pas obtenir des résultats satisfaisants avec d’autres moyens. Si on veut protester contre la violence d’un État ou d’une organisation quelconque, en portant de grandes idées pacifiques et libertaires, il est assez peu cohérent de le faire en utilisant soi-même la violence : si on veut que notre action ait un sens et soit en adéquation avec nos idées, elle ne peut pas prendre n’importe quelle forme. De plus, utiliser la violence contre la violence revient à laisser l’adversaire décider des règles du jeu.
Alors, quelle attitude adopter ? (Loin de moi l’idée de te dire quoi faire ou quoi penser, vois plus cela comme des propositions, des alternatives.)
Étienne Balibar, philosophe et essayiste, dans son livre Violence et civilité, distingue plusieurs réactions à la violence :
la contre-violence, dont on a parlé plus haut.
la non-violence, c’est à dire le refus de se soumettre à la logique révolutionnaire, car appelle à une violence plus interne.
L’anti-violence : une recherche de création, sans être déterminé par les structures dominantes.
Mais, concrètement, on fait quoi ? Parce que c’est bien joli ces belles idées de hippies-babos-gauchiasse mais on a envie de faire bouger les choses, merde !
Eh bien figurez-vous que les alternatives efficaces à la violence dans un cadre militant, c’est pas ce qui manque. Un autre auteur et politologue, Gene Sharp, écarte dans son ouvrage De la dictature à la démocratie non seulement la stratégie de la violence, mais également celle de la négociation car, premièrement, elle légitime le pouvoir en place, mais elle ne risque de déboucher que sur de fausses solutions (le pouvoir restant en position de supériorité). En revanche, il propose une troisième stratégie, partant du principe qu’un pouvoir en place ne peut se maintenir que par la soumission, le soutien (actif ou passif) et l’obéissance de la population qu’il dirige: la défiance politique, ou désobéissance civile. Il en recense 198 méthodes, qui vont des manifestations, parades, aux interventions non-violentes (occupations-éclairs par exemple), en passant par la non-coopération sociale, économique et politique. L’action se doit d’être collective et nécessite une discipline non-violente. L’organisation est essentielle pour mener une telle action efficacement.
Connais-tu la BAC ? Non pas la Brigade Anti-Criminalité mais la Brigade Activiste des Clowns, l’une des nombreuses brigades se réclamant de l’Armée clandestine des clowns insurgé(e)s et rebelles (CIRCA). C’est un collectif non-violent qui pour dénoncer l’armée, la répression, la précarisation… utilise la dérision. Il s’agit d’actions où les clowns parodient les différentes forces de l’ordre (policier/militaire) ou leurs autres cibles, car comme on peut le lire dans leur manifeste, leur objectif est de »ridiculiser le pouvoir pour mieux le combattre ».
Sur un ton plus sérieux, je peux vous citer l’exemple des deux militants écolo qui ont participé à une opération de décrochage de portraits de Macron dans une mairie Lyonnaise en février dernier pour dénoncer l’inaction face à l’urgence climatique (l’opération « Décrochons Macron » menée par le mouvement Action non-violente COP21). Elles ont été jugées récemment pour »vol en réunion », et relaxées par le juge Marc-Emmanuel Gounot, légitimant leur action par « l’état de nécessité ».
Pour plus d’exemples, je t’encourage à aller consulter la Global Nonviolent Action Database, qui recense toutes les campagnes d’actions non-violentes de l’Antiquité à nos jours.
On peut comprendre le recours à la violence comme moyen désespéré de se faire entendre, mais elle aura toujours des conséquences, des répercussions sur le long terme. Pour construire une société viable et qui ne risque pas d’exploser dans les mains de ceux qui viendront après, les alternatives non-violentes sont sérieusement à envisager.
Mais au pire on va probablement tous crever sous peu à cause d’un accident nucléaire, du climat ou de malnutrition suite à un effondrement du capitalisme et une incapacité générale à s’auto-suffire, donc s’enrouler dans un plaid et contempler la déchéance de l’humanité de loin est une position qui se défend aussi. A vous de choisir.
Yan Archie (dessin d’Aerouann)