Quand tu descendras du ciel…

Les illuminations parsemant la ville d’étincelles chatoyantes, le froid qui glace les doigts et le bout du nez mais qui ne nous dérange pas tant que ça tant qu’on est bien emmitouflé.e.s dans moult couches de vêtements, écharpes, bonnets, gants et autres lainages, les sapins qui apparaissent aux coins des rues, dans les vitrines et les salons, l’ambiance festive et les odeurs de pain d’épices… Pas de doute, c’est bientôt Noël !

Lea petit.e Gaby est ravi.e, alors qu’iel se balade avec ses mamans dans les rues bordées de magasins et noires d’une foule empressée de faire ses dernier achats avant le Réveillon ; iel s’émerveille de toutes ces lumières, toutes ces couleurs, tous ces jouets qui s’étalent dans les vitrines…

Alors qu’iels passent devant un grand magasin – un de ces centres commerciaux immenses où s’enchaînent les boutiques aux grandes enseignes lumineuses et aux murs parsemés de publicités en tout genre, Gaby remarque un étrange attroupement autour de l’entrée. Poussé.e par sa curiosité enfantine, iel tire la main de sa maman pour s’en approcher, se hisse sur la pointe des pieds, ouvre de grands yeux et distingue entre les épaules et les têtes ce qui attire tous ces gens.

Gaby n’en crois pas ses yeux, le vieil homme qui se dresse fièrement sur son traîneau est si impressionnant ! C’est curieux, iel n’en est pas sûr.e mais iel croit l’avoir déjà vu quelque part… La foule s’étant tue et le vieillard reprenant la parole, Gaby s’interrompt dans sa réflexion.

« Regardez-vous ! – lance-t-il à la foule béate. Regardez-vous, tous frétillants à l’idée d’acheter vos derniers cadeaux ; acheter, ACHETER, ben oui y’a plus que ça qui compte ! C’est la course à qui offrira le présent le plus onéreux, de la marque la plus chère. Pensez-y ! Toute la valeur que vous accordez aux choses aujourd’hui, c’est leur prix ! Mais c’est normal,  »c’est la fête »,  »c’est la tradition ».

Noël, la belle affaire. Vous vous rendez compte de ce que c’est devenu ?! Vous voulez que je vous parle de ce qu’est devenu mon travail ? Un calvaire, un déchirement moral constant ! Pourrir des gosses de riches, ça va 5 minutes, quand on ne regarde pas trop ceux qui sont presque en train de crever la gueule ouverte. Ah, c’est sûr que c’est beau, ces réunions familiales, cette fraternité, tous réunis autour d’un repas qui a coûte des montagnes de fric ! Et puis c’est mignon, de laisser un petit verre de lait et une carotte pour les rennes : apprenez donc à vos enfants à donner de la bouffe à un vioque, enfin par n’importe lequel, celui qui va leur apporter des cadeaux tout de même, pas question de le faire si y’a rien en échange hein, et surtout pas au sans-abri au coin de la rue, s’il est là c’est qu’il a pas su se débrouiller tout seul, n’est-ce pas ? Après tout, il suffit de traverser la rue pour trouver un travail, c’est bien connu. Pourquoi il est là à votre avis, pour le plaisir du grand air ?

Je vais vous le dire moi, pourquoi il est là.

C’est une victime de plus, une victime de ce système pourri qui ne cesse de creuser les inégalités, qui vous conditionne et vous lave le cerveau au point que vous soyez convaincus que votre productivité et votre capacité à amasser des thunes définissent votre valeur en tant que personne ! Ce même système qui non seulement dévaste la planète, mais tue aussi des millions de gens, en exploite à l’échelle de pays entiers et en fout un nombre dantesque dans une merde profonde et inextricable ! Vous savez très bien de quoi je parle, je parle de ce capitalisme écrasant, de cette course au flouz, à l’ascension sociale qui vous conduira tôt ou tard au burn-out !

Réveillez-vous, merde !

Ça vous pend au nez, vous empoisonne la vie, et vous n’êtes même pas foutus de vous en rendre compte ! Réfléchissez, réveillez-v… »

Le vieil homme ne peut pas finir sa diatribe, les agents du magasin arrivent et le maîtrisent rapidement (il en impose mais il n’a pas l’air physiquement très en forme, il est très âgé…). Alors qu’ils l’entraînent dans les entrailles de la galerie marchande, on l’entend encore vociférer quelques jurons.

Gaby est perplexe, iel n’est pas sûr d’avoir compris tout ce qu’il racontait. Ses mamans ne disent rien, mais elles ont l’air un peu troublé alors qu’elles lui prennent la main pour reprendre leur marche. La petite famille marche en silence pendant quelques mètres, le bruit et les lumières de la rue agitée se déployant autour d’elleux.

« C’était ça quoi maman ? – Gaby finit par demander.

– Rien, juste un vieux monsieur qui a trop bu. »

Supercaligragili (texte et illustrations)