« Je suis France ! «

Près de cinq mois se sont écoulés depuis la mort de l’ancien président de la France Jacques Chirac, le 26 septembre 2019. Quatre jours après son décès, il est enterré en grande pompe : son cercueil est exposé, le président Macron prononce un discours devant une foule de hauts dignitaires français ou étrangers et une minute de silence est imposée dans toutes les écoles… Une céréromie héritée du passé. A l’image, au Moyen Age, de la mort des puissants, en particulier des rois. A l’époque, cette cérémonie est également un moment politique crucial. Dans cet article, je vous propose de voir ensemble comment il y a plusieurs décennies, se déroulaient les funérailles royales. Vous êtes prêts ? Alors c’est parti !

Le Roi…est mort !

Nous verrons ici, que les rituels funéraires ont beaucoup évolué au fil du temps, entre le VIIème et le XVIème siècle, on n’enterre pas les rois de la même façon ! Ni au même endroit, ni avec les mêmes objets, ni avec les mêmes personnes… De plus, cela change évidemment en fonction du pays où les enterrements sont pratiqués. Impossible donc de généraliser le thème « la mort du roi au Moyen Age » !

Néanmoins, on retrouve des similitudes avec notre présent : tout d’abord, la nouvelle de la mort du roi est annoncée dans tout le royaume car il s’agit bien évidemment d’un évènement médiatique et politique majeur (en Catalogne par exemple, les officiers municipaux font sonner le tocsin pendant plusieurs heures d’affilée en criant « le seigneur est mort » ; si après ça on n’a pas compris ; plusieurs jours de deuils nationaux sont organisés, toutes les villes doivent organiser des processions auxquelles la population locale est forcée d’assister, on décore les rues avec des flambeaux, des faux cercueils et les insignes de la royauté , des repas sont même offerts aux pauvres… bref vous aurez compris, c’est une affaire que l’on prend très au sérieux ! ).

Enterrer le roi

Ce point est également très intéressant. En effet, on remarque que de grandes cérémonies sont mises en place pour glorifier le roi défunt et pour mettre en scène son autorité.

Ainsi, Henri II Plantagenêt (le second mari d’Aliénor d’Aquitaine et roi d’Angleterre) est, en 1189, enterré « vêtu comme un roi, portant la couronne sur la tête, ayant aux mains des gants et l’anneau d’or, tenant le sceptre dans sa main, portant des chaussures tissées d’or, des éperons, un baudrier et une épée » selon un chroniqueur anglais. Autre exemple, en Catalogne (toujours !), des nobles tournaient autour du cercueil royal à cheval puis brisaient leurs boucliers.

Il faut aussi savoir que les rois eux-mêmes se souciaient de leurs enterrements, ils préparaient très consciencieusement leurs testaments comme le montre celui du roi de… Catalogne bravo, Pierre le Cérémonieux : il y précise qu’il veut être enterré avec « tous les signes de la royauté » c’est-à-dire une couronne d’argent, d’or et de cristal (dont on fera une copie destinée à être posée sur le tombeau) par exemple. Mais qu’en est-il de nos jours ? Eh bien les cérémonies d’aujourd’hui sont bien plus sobres qu’avant ! Point de couronne d’or ou des défilés de nobles à cheval : seul le drapeau français (drapé sur le cercueil du président) rappelle sa dignité.

Toutefois, sachez que certains rois préféraient des funérailles plus humbles et plus axées sur la religion chrétienne : certains demandent qu’on ne leur construise pas de tombeau ou d’autres qu’on les enterre vêtus d’une simple tenue franciscaine ou cistercienne !

Quand la mort rassemble

Voilà comment les rois se faisaient enterrés. Mais il y a un autre aspect à prendre en compte : celui de savoir qui participe aux enterrements royaux (ou présidentiels). Nous verrons qu’au fil des siècles, les cérémonies funéraires n’attirent pas les mêmes personnes. Tout d’abord, lors des cérémonies, on prononce l’oraison funèbre du roi défunt en rappelant ses exploits, sa grandeur d’âme, sa justice et en passant sous silence les défauts, les trahisons et les échecs (comme ce fut le cas pour l’ex-président Chirac…).

Le but est bien sûr d’héroïser le roi défunt pour construire sa mémoire (et quand l’on voit le traitement médiatique consacré au décès de Chirac, c’est dans un but assez proche !).

Au Moyen-Age comme aujourd’hui, les cérémonies attirent les élites politiques et ecclésiastiques, comme en témoigne la présence de Bill Clinton ou de Vladimir Poutine aux funérailles de Chirac ou les archevêques de Reims et de Sens, pas moins de vingt évêques et le légat du pape pour Philippe Auguste en juillet 1223. On sait aussi que le peuple participe à la cérémonie puisque à la mort de Baudouin Ier ; roi de Jérusalem ; la foule de la Ville sainte pleurait et se lamentait lors du passage du cortège funèbre.

Il est important de noter qu’ici tous pleurent le roi : chrétiens mais aussi juifs et sarrasins. On comprend alors que la mort d’un souverain est, dans cette société métissée qu’est l’Orient, un moment fédérateur (les larmes de la foule montrent l’unité du royaume uni dans le deuil d’un ancien dirigeant).

Le choix du lieu

Après avoir vu comment se déroulaient les funérailles et qui y assistaient, parlons maintenant du lieu de l’enterrement qui est également un élément crucial. De nos jours, c’est un choix individuel ou familial : Chirac a été enterré au cimetière du Montparnasse près de sa fille.

Au Moyen-âge, le tombeau du roi devient un lieu de mémoire pour la dynastie mais aussi le royaume et attire visiteurs et pèlerins. Cela peut même devenir un enjeu économique, que les grandes églises et les monastères se disputent ! Ainsi, certains souverains se choisissent une église en particulier (en fonction de leur spiritualité ou de leur lien avec le lieu).

Parfois, le « corps royal » est dispersé dans plusieurs lieux comme c’est le cas pour Frédéric Barberousse (mort en croisade) dont la chair est enterrée à Antioche, les os à Tyr et les entrailles à Tarse… Charmant !

Mais ceci cause parfois quelques soucis : quand Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à Perpignan il faut attendre le 3 décembre suivant pour que son corps arrive à Saint-Denis. Cependant, d’autres rois privilégient la mémoire familiale et se font enterrer à Saint-Denis préparant avec soin leurs tombeaux et remaniant la disposition des tombes pour construire un discours architectural mettant en scène la continuité et le prestige de la lignée royale.

Chirac est mort, vive Chirac !

Toutefois, il y a une différence essentielle entre notre époque et le lointain Moyen-Age : cela fait trois mois que l’on a enterré l’ex-président or, à l’époque médiévale le roi meurt en étant encore roi (puisque c’est une fonction que l’on occupe à vie).

Peu à peu, à mesure que se transmet héréditairement la couronne, une nouvelle formule se développe ; la fameuse « le roi est mort, vive le roi ! ». Cette phrase célèbre vise à affirmer la continuité automatique de la lignée royale car à l’instant où le vieux roi décède, un nouveau roi est nommé. Elle a participé au développement du principe dit des « deux corps du roi » : le roi a un corps mortel et un corps immortel (qui se transmet à son successeur). Autour du corps de roi défunt se nouent ainsi des enjeux économiques, religieux, politiques, symboliques… A notre époque, le pouvoir ne se transmet plus héréditairement (en France du moins) : les enjeux des funérailles ne sont donc plus les mêmes, les traditions et les croyances ayant radicalement changé.

Swann (illustration d’Olympe)