Parlement britannique : what a story !

Depuis le référendum du 23 juin 2016, annonçant (à 51,9%) le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne, l’Angleterre a traversé (et traverse encore) une grave crise politique. En effet, depuis plusieurs mois, les tourments de ce « Brexit » placent le parlement britannique au cœur de l’attention des Européens. Et pour cause, les médias et les réseaux sociaux nous diffusent l’ambiance tendue qui règne dans le parlement : les déclarations de Boris Johnson devant la chambre des Communes, les cinglantes réponses de Jeremy Corbyn (chef du parti travailliste) ou encore les mémorables « Ordeeer » du speaker John Bercow…. Dans la dernière Gazette est paru un article très intéressant traitant du problème actuel et je vous recommande de le lire. Remontons aujourd’hui le temps pour revenir au Moyen- Age ! Eh oui à l’époque déjà, le parlement anglais était l’enceinte de débats houleux. Let’s go !

L’équilibre des pouvoirs… au Moyen-Age 

Tout d’abord, savez-vous comment est né le Parlement ? Nous sommes au XIIIème siècle et l’Angleterre est dirigée par l’impopulaire Jean sans Terre (fils de la célébrissime Aliénor d’Aquitaine et frère du renommé Richard Cœur de Lion). Vous le connaissez tous indirectement : c’est le Prince Jean dans Robin des Bois ! Or, dans les années 1210, ce prince Jean est dans une situation plutôt délicate. En effet, les terres de sa famille en Normandie et en Anjou (en effet, avant d’être reine d’Angleterre sa mère avait été reine de France et à l’époque, la Normandie et l’Anjou étaient des fiefs du roi d’Angleterre) venaient d’être confisquées par le roi de France, Philippe Auguste.

Dans ses efforts pour les reprendre, Jean sans Terre (on l’appelle ainsi car il n’a reçu aucune terre en apanage à sa naissance contrairement à ses autres frères) a levé des taxes importantes avant de subir deux sévères défaites faces aux troupes du roi de France à la Roche-aux-Moines (le 2 juillet 1214) et à Bouvines (27 juillet 1214).

La noblesse de l’Angleterre gronde, et en mai 1215, des barons rebelles (menés par Robert Fitzwalter), s’emparent de Londres et contraignent le roi à leur accorder un certain nombre de libertés. C’est alors que nait la ‘’ Magna Carta ‘’ ou Grande Charte.

Mais qu’est-ce donc ? Et quel changement apporte-t-elle ?

Eh bien, cette Magna Carta encadre considérablement l’action du monarque, soumis à une loi supérieure qu’il ne peut transgresser : elle impose, par exemple, le principe d’universalité de la justice, la liberté de déplacement pour les marchands ou encore le droit pour chacun de quitter l’Angleterre sans autorisation du roi. Mais surtout, les décisions de ce dernier doivent désormais être entérinées par un conseil de vingt-cinq nobles et toute levée d’impôts doit être consentie par une assemblée représentative : les bases du parlementarisme anglais sont nées.

Sachez aussi que cette Charte s’appuie sur des modèles beaucoup plus anciens : elle est le fruit d’une époque où l’entente avec les grands aristocrates était une pratique incontournable. D’ailleurs, Jean sans Terre va au départ profiter du départ des barons pour abolir immédiatement la ‘’ Magna Carta ‘’ que l’on vient de lui extorquer (ce qui comme vous vous en doutez n’est pas pour leur plaire et entrainera une guerre civile que l’on appellera la guerre des Barons. Mais ceci est une autre histoire…) Ce n’est qu’en 1225, après plusieurs péripéties, que le roi Henry III en ratifie une version réduite de moitié (et bien plus acceptable pour la royauté !). Et il faut attendre le règne d’Edouard Ier, à la fin du XIIIème siècle pour que le parlement s’impose définitivement comme une force qui compte dans le paysage politique anglais.

C’est un bel exemple de l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Age : le roi ne peut pas faire ce qu’il veut sans le soutien du Parlement.

Un parlement que beaucoup disaient… bon

Voyons maintenant comment le rôle du Parlement s’est fixé et institué progressivement : dès la fin du XIIIème siècle, il siège au Palais de Westminster et se divise en deux chambres : celle des Lords (l’équivalent des seigneurs en France) qui représente le clergé et la haute noblesse, et celle des Commons, où se réunissent les délégués de la bourgeoisie et de la basse noblesse chevaleresque. Le Parlement de 1376 (sous Edouard III) surnommé par ses contemporains « the good parliament » a participé à ce renforcement des institutions parlementaires.

Mais, le contexte politique de 1376 est très compliqué : le roi Edouard III est en guerre contre les Français (c’est la guerre de Cent Ans débutée en 1337 à cause d’un problème de succession et qui ne se terminera qu’en 1453 après… 116 ans de guerre !), et a besoin d’argent. Passés les grandes victoires du début de la guerre de Cent Ans (bataille navale de L’Ecluse le 24 juin 1340 où les Anglais détruisent la flotte franco-génoise qui faisait le blocus de Bruges, bataille de Crécy le 26 août 1346 ou encore la célèbre bataille de Poitiers en septembre 1356 où le roi de France, Jean le Bon ,fut capturé), l’armée anglaise enchaine alors les défaites face aux troupes de Charles V (avec leur défaite à la Rochelle le 22 juin 1372), ce qui rend la pression fiscale difficilement acceptable pour le contribuable anglais (le roi avait levé de nouvelles taxes).

Mais, lorsque le roi Edouard, soutenu par le parti du duc de Lancastre à la chambre des Lords demande la mise en place d’un nouvel impôt, la tension monte d’un cran.

Il faut comprendre, que ce « good parliament » de 1376 est exceptionnel : tout d’abord, cette session est particulièrement longue (à une époque où le parlement ne siège pas en permanence, près de cinq mois s’écoulent entre sa convocation par Edouard III en février et à la fin des délibérations en juillet).

Ensuite, les actions de la chambre des Communes vont créer des précédents qui imprègnent encore aujourd’hui le droit constitutionnel anglo-saxon (pour la première fois, les représentants des Communes désignent un des leurs, le chevalier Peter de la Mare, pour parler au nom de tous devant le roi et les Lords : c’est ainsi qu’apparait le ‘’ speaker ‘’ ! Autre nouveauté, le chambellan William Latimer est écarté du pouvoir (on l’accuse de se servir dans le trésor royal) par une procédure d’impeachment. Mais, Latimer est bien vite gracié et un nouveau ‘’ speaker ‘’ plus favorable aux impopulaires mesures de l’année précédente est élu.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les événements de 1376 sont liés à un contexte de crise du pouvoir politique et que ce sont (à court terme), des échecs. Pour l’Angleterre, ces expériences politiques contribuent ainsi à nourrir une réflexion tout à fait nouvelle sur le pouvoir et son exercice.

Au final, place au débat…

Les Communes sont donc un lieu de débat ouvert où chaque membre doit pouvoir exprimer librement son opinion. Comme ils servent le bien commun, les délégués sont encouragés à dire très franchement ce qu’ils pensent (ce qui donnera lieu en 1404 à une violente altercation entre le speaker Arnold Savage et le roi Henry IV…) Les délibérations se caractérisent donc par une recherche très médiévale du consensus. On est donc très loin des  » gauches irréconciliables » ou des partis qui n’arrivent pas à se mettre d’accord.

Bien loin aussi des parlementaires qui sacrifient (au profit de quelques querelles politiques) l’avis des citoyens qu’ils représentent.

Voilà, j’espère ne pas vous avoir trop perdus dans ce retour en arrière et vous avoir éclairés sur toute cette histoire !

Swann (illustration d’Olympe)