30 ans après Tian’anmen, quand la mémoire s’efface

Si vous êtes nés après les années 1990, cet événement ne vous dit sûrement rien, alors éclaircissons un peu tout cela.

Il y a trente ans, en avril 1989, des étudiants, intellectuels et ouvriers chinois descendaient manifester sur la place Tian’anmen à Pékin. Ils dénonçaient la corruption et demandaient des réformes politiques et démocratiques. Rapidement, le mouvement s’étendit dans les principales grandes villes. Le mouvement dura jusqu’au 4 Juin, date où le gouvernement chinois fit intervenir l’armée pour mettre un terme aux contestations. En découla une violente répression qui fit entre des centaines et des milliers de morts et mit fin à l’espoir d’une Chine plus démocratique.

Une contestation populaire

Peu après les événements, le gouvernement chinois s’est empressé de procéder à l’arrestation massive des personnes ayant participé ou étant favorables au mouvement. Les réseaux et médias internationaux, ayant pourtant disposé d’une grande liberté pendant le mouvement, se virent censurés et enfermés, les journalistes étrangers furent expulsés et le gouvernement prit le contrôle total de la couverture médiatique de l’événement. Malgré ses efforts pour masquer l’affaire, celle-ci fut très médiatisée et de nombreuses informations et images fuitèrent, notamment la célèbre photo de Tankman, un homme à l’identité toujours inconnue, faisant face à une rangée de chars.

L’épisode reçut de nombreux échos en Occident et nourrit une image ternie de la République Populaire de Chine auprès de l’opinion mondiale. Par ailleurs, les EU et la communauté européenne répondirent en posant un embargo sur les ventes d’armes à la Chine.

Cette manifestation permit au gouvernement chinois de resserrer drastiquement sa politique autoritaire en réprimant en totalité toute opposition et idée démocratique. Depuis ces événements, aucune remise en cause du pouvoir n’est plus tolérée. L’affaire fut vite enterrée et une vague d’épuration plus fine fut organisée afin d’éradiquer toute possible révolte. Celle-ci continue encore aujourd’hui.

L’événement fut peu à peu minimisé et la Chine put regagner sa popularité grâce à de nouvelles réformes économiques, les dirigeants responsables de la répression furent peu à peu remplacés, engloutissant insidieusement les traces de l’événement.

L’embargo, toujours d’actualité, est la cause de nombreux désaccords entre les pays de l’UE. Il s’est par ailleurs beaucoup relâché, de pair avec la pression de l’opinion publique mondiale, qui est rapidement passée à autre chose.

Le Parti s’est attelé, ces dernières années, à effacer toute trace de cette manifestation dans une véritable traque, encore d’actualité. Pour s’installer en Chine, les géants Google et Yahoo ont dû adapter leurs programmes en fonction des demandes du gouvernement, empêchant toute recherche « dérangeante » et allant jusqu’à bloquer les recherches à l’approche du 4 Juin.

Des programmes furent créés pour traquer toute mention de l’événement afin qu’elle soit immédiatement effacée.

Le contrôle de l’information

La moindre information qui vient de l’étranger est contrôlée, et rien n’est laissé de côté. Le gouvernement chinois reste ferme sur sa position, il « a agi avec détermination pour calmer la tempête politique de 1989, et a permis à la Chine de profiter d’un développement stable », la répression militaire fut justifiée comme étant nécessaire au maintien de l’ordre public. Et il ne déroge pas à la règle : la place Tian’anmen est ainsi étroitement surveillée à chaque anniversaire du 4 juin pour éviter toute commémoration.

A l’anniversaire des vingt ans de la manifestation, en 2009, la population chinoise a réclamé l’ouverture d’une enquête et d’un débat, des réponses étaient attendues, de nombreuses pétitions furent signées, notamment à l’encontre des Mères de Tian’anmen, une organisation fondée par une mère ayant perdu sont enfant lors de la répression, mais aucune des tentatives pour ressortir l’affaire ne fut concluante.

Toutes les fuites d’informations furent supprimées, et de nombreuses personnes arrêtées.

Aujourd’hui, l’événement ne subsiste qu’à travers des rumeurs, de bouche à oreille, car la nouvelle génération ne l’étudie pas dans les manuels scolaires, Ni sur Internet car toute tentative de commémoration sur les réseaux est également presque impossible, les moyens développés par le gouvernement pour les empêcher sont considérables.

Les manifestations de Tian’anmen ne font plus partie de l’Histoire chinoise, toutes les archives furent détruites et le Parti s’applique à diffuser qu’il ne s’est rien passé à cette date, exceptée la version officielle qu’il en donne.

La jeunesse chinoise est totalement sous contrôle et tout contact avec l’étranger est minutieusement surveillé. La majorité des jeunes ne savent pas ce qui s’est réellement passé et sont maintenus dans l’ignorance par la crainte de la répression, ils n’ont pas le droit d’en parler, c’est interdit, sous peine d’emprisonnement.

La nouvelle génération est donc totalement endoctrinée par les «vérités» du Parti, auquel une grande partie adhère. En 2009, Deng Xiaoping, ancien président chinois, explique officiellement qu’« un petit nombre d’émeutiers, pour l’essentiel des repris de justice et des chômeurs mécontents, avaient attaqué les soldats venus mettre de l’ordre sur la place Tian’anmen, et que l’armée avait dû se défendre », les manifestations ayant été déclenchées par des « contre-révolutionnaires », manipulés par des forces étrangères, elles menaçaient la stabilité du pays, la répression était donc un devoir de sécurité nationale d’après le Parti. Il rétorqua également qu’aucun mort n’avait été déclaré et que les victimes n’étaient pas des étudiants.

Une grosse épuration culturelle constante s’applique en Chine. Ce sont quelques 150 films interdits par an, 32 millions de livres de contrebande et 2,4 millions de vidéos et cassettes audio saisis. Le Parti Communiste Chinois a réussi en trente ans à rendre un événement majeur totalement mineur. On ne connaît pas aujourd’hui le nombre de victimes.

Cependant, malgré les interdictions, le souvenir des événements subsiste dans l’esprit de millions de Chinois et certains bravent les autorités en essayant tant bien que mal de contourner la censure tant sur les réseaux sociaux que sur les médias. Des dissidents, rescapés de 1989 et exilés en France et aux Etats-Unis (près de 800) font force d’opposition à l’étranger et continuent la lutte sans baisser les bras, convaincus qu’il existe encore une lueur d’espoir.

Les commémorations de l’événement ne sont possibles qu’à Taiwan, hors Chine continentale, à Hong Kong, où chaque année, des milliers de personnes se réunissent pour célébrer l’anniversaire du massacre. Cette année particulièrement, pour les 30 ans.

A la veille du trentième anniversaire du 4 juin, la tension est à son comble et les autorités sont sur leurs gardes. Le gouvernement chinois a commémoré le 4 mai dernier, les cent ans d’une autre manifestation étudiante, celle-ci à l’encontre du gouvernement prédécesseur de Mao et donc favorable au Parti. Notons tout de même que, déjà en 1919, les étudiants, descendus également sur la place de Tian’anmen aspiraient à plus de démocratie, la commémoration n’a pas mis ces revendications en exergue.

A ce jour, le gouvernement chinois ne compte pas en faire de même pour les manifestations du printemps 1989. Le déni sera-t-il encore une fois toléré après les commémorations de mai ? Le gouvernement pourra-t-il se permettre d’omettre d’évoquer l’événement ?

Combien de temps encore avant que le gouvernement assume les actes commis ?

Anjela (dessin de Teïla)